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CEP au Grand Quev'
6 mars 2007

Repenser la politique étrangère française...

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Point de vue

Repenser la politique étrangère, par Dominique Moisi

LE MONDE | 05.03.07 | 14h05  •  Mis à jour le 05.03.07 | 15h35

a France n'est pas l'Italie, un pays ou un gouvernement peut "tomber" sur un enjeu de politique étrangère. Il est même peu probable que la politique étrangère joue un rôle significatif dans la campagne présidentielle. Il s'agit là d'une évidence qui traduit une continuité paradoxale.

Notre pays est traditionnellement fier de son statut international. L'identité nationale de la France ne passe-t-elle pas pour partie au moins par son identité internationale ? Mais ses citoyens, encouragés en cela par une campagne qui plus que jamais met l'accent sur les revendications individuelles - "que ferez-vous pour moi ?" - au détriment des ambitions collectives - "que ferez-vous pour la France ?" -, font de plus en plus l'impasse sur les enjeux internationaux. Alors même qu'ils sentent confusément que dans l'univers de la mondialisation leur sort, en termes d'opportunités ou de menaces, est inextricablement lié aux évolutions du monde, les Français, par un mélange de consensus passif sur les options choisies ou d'indifférence non feinte face à des enjeux qui les dépassent, ne consacrent à ces questions qu'une attention marginale.


Dans ce contexte de non-débat sur des questions décisives, est-il possible de suggérer quelques pistes de réflexion sous la forme de recommandations négatives et positives que j'intitulerais en hommage à T. E. Lawrence "Les sept piliers de la sagesse" ?

1. La France ne doit pas se tromper de siècle. La mondialisation est une réalité incontournable. Il ne s'agit pas de dire qu'elle ne nous concerne pas, que nous pourrions faire le choix de nous y soustraire. Elle est un encouragement à l'effort et à l'excellence dans le cadre d'une compétition mondiale qu'il convient de rendre plus humaine et plus morale certes, mais à laquelle nous devons participer comme un acteur ambitieux et non pas comme une victime frustrée et revendicatrice.

2. La France ne doit pas se tromper d'ennemi. Alors que le monde est en train de redevenir multipolaire, avec le retour de la Chine, sinon de la Russie, et l'entrée de l'Inde sur la scène internationale comme des acteurs de tout premier plan, il serait anachronique et paradoxal de continuer à vouloir se définir par rapport, sinon contre, les Etats-Unis. Il est légitime de se dissocier des erreurs de l'administration Bush ; il ne l'est pas de nier la communauté d'intérêts et de valeurs qui au XXIe siècle nous unit toujours à l'Amérique.

3. La France ne doit pas se tromper de priorités. Depuis le 29 mai 2005, il y a moins de France en Europe, et sans doute, moins d'Europe dans le monde. Il ne s'agit pas d'exagérer l'importance de notre pays, mais sans la contribution d'une France plus ambitieuse et plus confiante en elle-même, l'Europe ne peut prétendre à un rôle majeur au sein d'un monde multipolaire. L'Europe est plus que jamais une "impérieuse nécessité", qui mérite la concentration de nos volontés mais aussi le sens du compromis.

4. La France ne doit pas perdre de vue le fait que son image dans le monde et sa capacité à peser sur les événements dépendent avant tout de sa capacité à effectuer des réformes chez elle. Politique intérieure et politique étrangère sont de plus en plus étroitement liées. La France sera plus crédible de l'autre côté de la Méditerranée et au Proche-Orient si elle réussit dans la voie de l'intégration de ses minorités musulmanes et si elle se confronte à son histoire coloniale de manière sereine, comme elle l'a fait désormais avec la seconde guerre mondiale. Comment prêcher l'"alliance des civilisations" à l'extérieur, si on ne la pratique pas chez soi ?

Une France plus fraternelle et généreuse à l'égard de ses minorités a plus de légitimité à s'exprimer en défense des grands principes universels. De la même manière, la crédibilité de la France passe par sa capacité à suivre d'autres pays européens, y compris dernièrement l'Allemagne, sur la voie des réformes de structures, économiques et sociales.

5. La France dans son nouvel et légitime enthousiasme pour l'écologie doit prendre conscience du fait que, désormais, souci de la planète et considérations géopolitiques vont de pair. La protection de l'environnement est devenue une question de sécurité majeure. Lutter contre le réchauffement de la planète et diminuer notre dépendance à l'égard des régimes pétroliers - de l'Iran au Venezuela en passant par la Russie de Poutine - implique de faire du développement des bioénergies une priorité absolue des pays démocratiques comme la France.

6. La France ne doit pas se tromper de style. Il n'existe pas d'incompatibilité entre la poursuite de grandes ambitions et l'adoption d'un ton moderne et modeste. Le critère d'une politique étrangère réussie ne se mesure pas à l'aune des alliés que l'on a pu froisser ou offenser. Tout peut être dit sans emphase ou emportement, sans une "flamboyance" finalement plus coûteuse que bénéfique. Une France plus sûre d'elle-même au sein d'une Europe plus confiante n'a pas besoin de bomber le torse ou d'élever la voix pour se faire entendre.

7. La France, enfin et surtout, ne doit pas se tromper d'objectifs prioritaires en matière de politique extérieure. Notre géographie, notre histoire et désormais notre démographie lient notre sort à celui de la Méditerranée et, au-delà, du Moyen-Orient dans son ensemble. Il ne s'agit pas de savoir si l'Europe est en train de "s'islamiser" ; contrairement aux délires idéologiques de certains, la question, à l'inverse, est de savoir comment la France et l'Europe peuvent contribuer à réconcilier le monde musulman avec lui-même. Plus d'engagement à l'extérieur, plus de fraternité à l'intérieur vont de pair l'un avec l'autre.

Autrement dit, les Français ne doivent pas se demander uniquement ce que leur Etat peut faire pour eux individuellement, mais aussi ce que les évolutions du monde signifient pour la France et, au-delà, ce que peut être sa contribution aux affaires du monde.


Dominique Moisi est conseiller spécial de l'IFRI.


Article paru dans l'édition du 06.03.07

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