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CEP au Grand Quev'
7 mars 2007

Un entretien avec le professeur Frydman

Un bel entretien avec le professeur Frydman...

Lien permanent: http://www.lexpress.fr/info/sciences/dossier/genome/dossier.asp?ida=455733

LEXPRESS.fr du 20/02/2007

René Frydman

"Aujourd'hui, on veut des bébés à tout prix''Gilbert Charles

Joyeux anniversaire, Amandine! Le premier bébé-éprouvette français fête ses 25 ans le 24 février. Son «père médical», le Pr René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine), se souvient de cet «avènement» qui a marqué le début d'une nouvelle ère: celle du contrôle médicalisé de la reproduction. La pilule et l'IVG avaient donné aux femmes fertiles le choix de ne pas enfanter; la fécondation in vitro a donné aux couples stériles la possibilité de le faire. Cette technique qui consiste à inséminer des ovocytes en dehors du corps de la femme permet aussi de concevoir des bébés «sur mesure», sélectionnés en fonction de critères médicaux, physiques ou génétiques. En ouvrant ainsi la porte à des miracles thérapeutiques, mais aussi à l'eugénisme. Une technique qui s'est banalisée: plus de 3 millions d'enfants issus de fivetes sont nés en France depuis Amandine

Aviez-vous conscience, en 1982, de participer à un événement historique?

Pas vraiment: j'étais surtout absorbé et fasciné par mon travail. J'ai vécu cette aventure comme une sorte de miracle. Pour la première fois, j'assistais en direct aux premiers instants de la vie d'un petit être: j'ai observé sa conception au microscope, j'ai suivi son développement pendant toute la grossesse et je l'ai mis au monde. Ce fut pour moi un véritable émerveillement. Il faut se replacer dans le contexte de l'époque: on ne savait presque rien dans ce domaine. Lorsque j'ai passé mon agrégation, en 1979, j'ai présenté aux membres du jury les premières photos d'embryons humains: c'était pour eux une découverte. La technique de fécondation in vitro avait été expérimentée pour la première fois quatre ans auparavant en Grande-Bretagne, par Robert Edwards, mais c'était encore du bricolage. Il n'y a pas eu d'essais sur les animaux: on est passé directement à l'homme. C'était une opération risquée; nous n'étions pas du tout sûrs que cela allait marcher et nous ne savions pas si les enfants allaient naître normaux. J'avoue que je ne m'attendais pas au déchaînement médiatique qui a suivi. Ni aux réactions plutôt hostiles d'une partie de l'establishment scientifique et médical, qui nous considérait alors comme des farfelus, voire des charlatans.

© F.Freville pour L'Express

Que vous reprochaient donc ces détracteurs?

Nous avions brisé un tabou en manipulant l'embryon, que l'on considérait alors comme intouchable. Très vite, les discussions se sont focalisées sur la notion d'être humain: à partir de quand peut-on parler de personne? Cette interrogation continue aujourd'hui de diviser la société; elle est au centre de tous les débats autour de la procréation - on l'a vu récemment avec la polémique sur le Téléthon, ou à propos des cellules souches. Deux conceptions radicalement différentes s'affrontent. D'un côté, ceux qui pensent que l'enfantement relève du mystère de la vie, de quelque chose de sacré auquel on n'a pas le droit de toucher: pour eux, l'embryon est une personne dès le premier instant de la fécondation. Ce qui implique le refus de la contraception, de l'IVG, ainsi que de la fécondation in vitro. Avec ce paradoxe, tout de même, qui consiste à la fois à dire non à la mort, mais aussi non à la vie. De l'autre, on trouve les tenants d'une logique d'indépendance et de maîtrise de l'individu, qui considèrent que la femme a le droit de choisir sa maternité et qu'il n'y a pas de raison de ne pas aider la nature si la médecine le peut. Il s'agit surtout des générations de l'après-guerre, qui ont vécu la décolonisation, la libération des mœurs, la contraception, le droit à l'avortement.

Ces deux conceptions n'opposent-elles pas surtout les croyants, en particulier l'Eglise catholique, et les athées? Ou encore les jeunes et les vieux?

René Frydman

1943
Naissance à Soumoulou (Pyrénées-Atlantiques).1966 Signe la déclaration des 121 médecins avouant avoir pratiqué un avortement.

1971
Participe à la création de Médecins sans frontières, avec Bernard Kouchner.

1974
Arrivée à l'hôpital Antoine-Béclère, à Clamart, dans le service du Pr Emile Papiernik.

1979
Agrégation de médecine.

1982
Met au monde Amandine, premier bébé français issu de la fécondation in vitro.

1986-1990
Membre du Comité consultatif national d'éthique.

1986
Accouche le premier bébé issu d'un embryon congelé.

1990
Chef du service de gynécologie- obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère.

1992
Chargé de mission au ministère de la Santé auprès de Bernard Kouchner.

2000
Première naissance après un diagnostic préimplantatoire.

2003
Naissance du premier bébé français issu de la maturation in vitro.

Ce n'est pas si simple. On trouve des partisans des deux bords dans toutes les classes d'âge, mais aussi au sein même de l'Eglise, où ce débat a toujours existé. Depuis le IIe siècle, on trouve des textes de grands théologiens qui expliquent que l'acte sexuel, étant par essence un péché, ne peut être concomitant à l'apparition de l'âme. D'où le concept d' «animation différée»: au XIIIe siècle, saint Thomas d'Aquin affirmait ainsi que l'âme apparaît au bout de quarante jours chez les garçons et de quatre-vingts jours chez les filles. On retrouve ce premier chiffre dans l'Ancien Testament, tout comme dans le Coran. C'est justement à partir de quarante jours que l'on commence à voir l'embryon à l'œil nu, alors que jusque-là il est invisible sans microscope. Après la naissance d'Amandine, j'ai été invité par l'Académie pontificale des sciences, au Vatican, où se tenait un colloque sur le thème «Peut-on accepter des relations sexuelles sans but procréatif?». C'était le cardinal Ratzinger, le pape actuel, qui dirigeait les débats. J'ai passé trois jours en joutes oratoires avec lui, mais cela n'a pas servi à grand-chose. Quelque temps après, en 1987, est parue l'instruction Donum vitae, qui condamnait la procréation «hors du corps des époux» et fermait la porte à toute forme de procréation assistée. Certains hôpitaux catholiques qui s'étaient lancés dans la fécondation in vitro, comme Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Paris, ont dû cesser ces activités.

Le Comité national d'éthique, où vous avez siégé, a-t-il résolu le statut de l'embryon?

Le comité a justement été créé en 1983, peu après la naissance d'Amandine, pour traiter de cette question. Les «sages», parmi lesquels je me suis senti parfois très minoritaire, ont commencé par définir un concept de «personne potentielle», qui donne à l'embryon un statut général en fonction de son devenir. On a ensuite beaucoup discuté pour déterminer à quel stade de son développement il peut être considéré comme une personne humaine à part entière. Celui-ci a d'abord été fixé après ce qu'on appelle la «phase d'adhérence», lorsque s'établit le lien avec la mère au moment de l'implantation. Certains ont fait valoir qu'à ce stade il y a encore des probabilités de fausse couche ou la possibilité que l'œuf se divise pour donner des jumeaux, donc une ambiguïté. On a donc reculé la limite jusqu'à l'apparition du système nerveux. Mais une grenouille aussi dispose d'un système nerveux. C'est pourquoi certains veulent aller jusqu'à la formation du cortex. D'autres vous diront qu'avant vingt-deux semaines l'embryon n'est pas viable hors de l'utérus de la mère... On en est là pour l'instant, et la question n'est toujours pas vraiment tranchée.

La France ne passe-t-elle pas pour un pays trop rigide en matière de bioéthique, avec plus d'interdits que dans d'autres pays européens?

Les mentalités ont quand même beaucoup évolué. La loi de 1994 a officialisé la fécondation in vitro et le diagnostic préimplantatoire (DPI) [qui permet de sélectionner des embryons «indemnes» en cas de maladie génétique grave des parents], tout en interdisant les recherches sur l'embryon. En 2004, cette interdiction a été levée et on a accepté l'extension du DPI dans le cas de ce qu'on appelle les «bébés-médicaments». L'embryon est sélectionné pour être compatible avec un frère ou une sœur malade, dans l'éventualité d'une greffe de moelle. Mais on a interdit le clonage reproductif. Tout cela évolue, et les discussions vont reprendre en vue de la prochaine révision de la loi de bioéthique, prévue en 2009.

Que souhaiteriez-vous changer dans la loi actuelle?

Le don d'ovocytes pose problème en France, parce qu'on ne trouve pas de donneuses - dans une moindre mesure, c'est aussi le cas pour le don de sperme. Personnellement, je pense que la règle de l'anonymat et de la gratuité trouve un peu ses limites. Certaines femmes seraient prêtes, par exemple, à effectuer un don pour leur sœur ou pour une amie, mais elles ne le peuvent pas. La gratuité absolue me semble être aussi un frein: on pourrait imaginer une forme de reconnaissance, une indemnisation de cet acte qui n'est quand même pas simple, non pas de la main à la main, mais pris en charge par la société, sans pour autant tomber dans le commerce à outrance comme en Espagne ou aux Etats-Unis.

Les problèmes éthiques qui se posent aujourd'hui sont souvent d'ordre non pas scientifique mais commercial, comme les mères porteuses ou la vente de gamètes sur Internet...

C'est vrai qu'à côté des questions posées par les véritables innovations, comme la congélation d'ovocytes, les cellules souches ou le DPI, s'ajoutent celles qui ne relèvent pas de la science, mais de ses applications ou de son exploitation. Les mères porteuses, qui cèdent un enfant à un couple qui ne l'a pas conçu, cela a toujours existé, mais ce qui est nouveau, c'est que cette pratique se médicalise et se commercialise. Pour moi, il s'agit avant tout de phénomènes de société, de questions que le médecin ou le scientifique n'a pas plus de légitimité à trancher que n'importe qui d'autre. La science est-elle responsable de ça? Elle donne des outils; tout dépend de la façon dont on va les utiliser. Le problème qui me préoccupe le plus, c'est celui des limites de la liberté individuelle...

Que voulez-vous dire?

Nous avons connu depuis cinquante ans une formidable accélération du progrès technique, en même temps qu'un bouleversement des mœurs et des modes de vie. Tout cela a créé une survalorisation de l'individu, en particulier de l'enfant, auquel on voue un véritable culte. La stérilité apparaît aujourd'hui comme insupportable. Ce n'est plus «un bébé quand je veux», c'est «un bébé à tout prix». La grande question est de savoir s'il faut imposer des règles pour tenir compte des autres, ou bien favoriser les désirs de l'individu, en particulier de celui qui a les moyens de les énoncer et de les satisfaire. Que doit répondre le médecin à une femme homosexuelle qui veut faire un enfant en solo? Ou à un couple qui veut un garçon? Ou quand on lui demande d'interrompre une grossesse parce qu'on a découvert une petite malformation de l'embryon à l'échographie? Faut-il donner raison aux parents qui disent: «Mais ce n'est pas vous qui allez élever cet enfant»? Heureusement qu'il y a une loi, cela facilite les choses. Dans les pays où il n'y a pas de règlement, c'est la personne contre la personne, celle qui est achetable et celle qui paie...

Vous êtes devenu célèbre depuis la naissance d'Amandine; certains vous reprochent d'être omniprésent dans les médias. Que leur répondez-vous?

J'ai accepté le principe d'être médiatisé pour ne pas laisser s'installer les incompréhensions ou la désinformation sur ces questions que les journaux ne cessent de monter en épingle. Peut-on être mère à 67 ans? A-t-on le droit de concevoir un enfant pour en soigner un autre? Pourquoi faut-il s'opposer au clonage reproductif tout en facilitant les recherches sur l'embryon? Je me sens encore plus obligé d'intervenir lorsqu'on donne la parole à des escrocs ou à des cyniques du business, qu'il s'agisse de la «banque de sperme des Prix Nobel», de la secte Raël qui veut faire croire qu'elle a réussi un clonage humain ou du chercheur coréen qui a travesti ses résultats sur les cellules souches. Hier encore, je participais à un débat sur France 5 où quelqu'un prétendait qu'il y avait un problème d'origines dans la fécondation in vitro, laissant entendre que ces enfants étaient biologiquement différents de leurs parents. Mais c'est faux: dans 97% des cas, les ovules et le sperme viennent de la mère et du père! Certes, il y a parfois des dons de gamètes, mais c'est extrêmement rare. C'est dur de maintenir le cap sur des choses réelles, audibles. Il faut être vigilant, et c'est ma responsabilité de médecin, de chercheur et d'enseignant.

Avez-vous des nouvelles d'Amandine? Qu'est-elle devenue?

C'est une belle jeune femme qui vit une existence normale. Elle a toujours tenu à préserver sa vie privée. Ses parents l'ont beaucoup protégée au début. Ils voulaient que cette naissance soit la plus naturelle possible, malgré la pression médiatique: on a même vu des paparazzis essayer de se faufiler dans le service déguisés en infirmière!

J'ai entendu dire qu'elle faisait des études de médecine...

Elle est dans ce champ d'activité. Mais je ne veux pas vous en dire plus.

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