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CEP au Grand Quev'
11 mars 2007

Mourir le moins mal possible

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EDOUARD FERRAND, ANESTHESISTE-REANIMATEUR A L'HOPITAL HENRI MONDOR, MEMBRE DE PLUSIEURS COMMISSIONS D'ETHIQUE MEDICALE

Mourir le moins mal possible

LE MONDE | 10.03.07 | 12h56  •  Mis à jour le 10.03.07 | 13h49

ous avez conduit plusieurs études sur la fin de vie en milieu hospitalier. Au moment où la question de l'euthanasie resurgit dans la campagne électorale, comment percevez-vous ce sujet ?

L'euthanasie est une mauvaise réponse à un vrai problème. Toutes les études montrent que les gens meurent très mal à l'hôpital. La question de l'euthanasie est différente. Elle relève d'un débat de société sans doute nécessaire, mais les demandes de mettre fin à la vie représentent un nombre très faible de patients. Les expériences des Pays-Bas et de la Belgique montrent que cela concerne environ 2 % des décès. Même si la législation sur l'euthanasie évoluait en France, où l'on compte 500 000 décès par an, cela ne résoudrait pas le problème de l'absence de qualité de la fin de vie.

Vous dites "on meurt mal". Qu'est-ce que cela signifie ?

L'étude MAHO (pour "Mort à l'hôpital") a montré que 80 % des malades qui mouraient avaient des symptômes d'étouffement et ne bénéficiaient pas d'analgésie ou de sédation. Les trois quarts des malades meurent seuls, sans leur famille, accompagnés d'un soignant, alors que le décès était prévisible.

Est-ce que la loi Leonetti d'avril 2005 relative à la fin de vie a changé quelque chose ?

Deux ans après son adoption, cette loi est loin d'être appliquée comme elle le devrait, alors même qu'elle constitue un bon cadre. Elle permet de lutter contre l'acharnement thérapeutique en instaurant la collégialité, afin de prendre la moins mauvaise décision. Mais il y a un fossé majeur entre le cadre légal sur le droit des patients, le respect de leur dignité, et ce qui se passe dans la réalité.

Nous constatons qu'il y a encore des fins de vie qui sont accélérées ou des actes qui ne correspondent pas à ce qui a été défini comme de bonnes pratiques. La législation prévoit notamment la possibilité pour le patient de désigner un tiers de confiance, mais cela n'est pratiquement pas fait. La seule disposition réellement traduite dans les faits est la rédaction de directives anticipées (testament de vie du patient). Les améliorations sont dues à l'évolution des mentalités, davantage qu'à l'application stricto sensu de la loi. La loi Leonetti donne plus de sécurité médico-légale aux médecins pour prendre une décision.

La loi Leonetti a-t-elle modifié la pratique des soignants ?

Elle a formalisé le processus décisionnel de fin de vie. L'étude Latarea 2, dont nous présenterons prochainement les résultats, montre que les soignants se réunissent plus souvent et que, dans un tiers des cas, il s'agit pour eux de continuer un projet thérapeutique. La loi prévoit à juste titre que les familles doivent être consultées. Elle a surtout ajouté l'idée de la traçabilité dans le dossier médical de toutes les décisions. On ne fait pas ce que l'on ne peut pas écrire. C'est un garde-fou.

Quelles difficultés voyez-vous dans l'application de la loi à l'hôpital ?

Les décisions sont encore prises trop rapidement, sans suivre la procédure collégiale. C'est difficile de raisonner de façon rigoureuse en fin de parcours alors même qu'auparavant la communication et l'information ont manqué. Les soignants ne sont pas formés, la démarche palliative des médecins n'est pas valorisée. Au contraire ce qui est valorisé, c'est le volume d'actes curatifs, et le nouveau système de tarification à l'activité a renforcé ce phénomène. On ne se donne pas vraiment les moyens de développer le droit du patient à l'hôpital. Cela ne pousse pas les soignants à se poser la question de savoir jusqu'où ils doivent poursuivre les soins, ce qui se traduit par un acharnement thérapeutique trop fréquent.

Quelle est la réalité de cet acharnement thérapeutique ?

Des interventions chirurgicales sont encore pratiquées alors que le patient n'avait aucune chance de guérison. Le patient est sous support vital artificiel, il va mal mourir sans que la famille soit présente. Les soignants se retrouvent à traiter complication sur complication. Pourtant, l'acharnement thérapeutique est toujours de bonne foi.

Comme l'expliquez-vous ?

L'acharnement thérapeutique est dû à un manque de traçabilité. La démarche palliative est, par définition, une limitation des gestes et des actes. Or, comme cette démarche n'est pas valorisée, il n'y a aucun intérêt, même économique, à la développer. Il faudrait accorder une valorisation au projet thérapeutique, qu'il soit curatif ou palliatif, et non au seul acte. L'acharnement thérapeutique, c'est allonger la durée de séjour, les souffrances du malade, c'est inhumain. Sur le plan économique, l'acharnement thérapeutique est une ruine. Dire que les gens meurent mal ne renvoie pas à la question du droit à l'euthanasie, mais à la nécessité d'améliorer et d'évaluer la prise en charge de la fin de vie.

Le dernier rapport de la Cour des comptes a pointé des disparités géographiques dans l'accès aux soins palliatifs

...

Il n'y aura jamais assez de lits si l'on considère que les malades doivent tous mourir en unité de soins palliatifs. Il faut que la démarche palliative, la culture du projet thérapeutique, irrigue tous les services et la médecine de ville. Quand on a voulu lutter contre les infections nosocomiales on a mis en place des structures transversales qui ont permis de diffuser cette nouvelle culture. Il faudrait s'inspirer de cette démarche pour lutter contre l'acharnement thérapeutique. Cela ne doit pas rester une affaire d'experts ou d'un seul soignant référent. Il existe une grande demande parmi les soignants et les usagers en matière de fin de vie, mais la loi n'a pas eu assez d'impact en pratique.

Comment les soignants vivent-ils cette situation ?

Une étude récente vient de montrer que l'épuisement professionnel des infirmiers est en grande partie dû à la mauvaise gestion de la fin de vie dans les services. Il ne faut pas faire de la collégialité un quart d'heure avant la mort du malade. Les soignants doivent discuter en amont, s'asseoir autour d'une table, connaître l'environnement du patient, qui le représente, ce qu'il souhaitait, son histoire. En amorçant le processus très tôt, on arrive à prendre des décisions plus tôt et donc à diminuer l'acharnement thérapeutique.

Au regard de cette situation, ceux qui revendiquent que la loi Leonetti aille plus loin en autorisant un "droit à la mort" ou une "exception d'euthanasie" ont-ils raison de le faire ?

Il y a probablement quelques centaines de patients pour lesquels, malgré le projet de soins palliatifs, le sentiment de perte de dignité amène à un désir de mort. Mais cela est marginal par rapport au vrai problème de fin de vie qui se pose en France.

Ne faut-il pas malgré tout aborder cette question ?

C'est un débat de société dont il faut connaître les enjeux et les risques. Les risques, ce sont les dérives, comme le montrent les exemples hollandais et belge. Dans ces pays, il y a toujours autant de limitations thérapeutiques clandestines, et les critères de précaution ne sont pas toujours respectés. Par exemple, il arrive que des malades mentaux soient aidés à mourir malgré leur inaptitude à décider pour eux-mêmes. Si on fait une loi sur l'euthanasie et qu'elle est aussi mal appliquée que la loi Leonetti on peut arriver à des euthanasies indues. Il faut des critères de précaution très stricts. Et puis reste à savoir : qui fait le geste ? C'est aussi un vrai débat. Mais, je crains surtout que tout ce débat sur l'euthanasie n'arrive de manière précipitée et n'ait des effets contre-productifs sur les milliers de personnes qui vont mourir mal.

La campagne présidentielle pourrait-elle être l'occasion d'une surenchère autour de la question de l'euthanasie ?

Oui, parce que les pétitions qui circulent en faveur d'une légalisation de l'euthanasie rassemblent des centaines de milliers de signatures, environ 1 % des électeurs. C'est peut-être le moment d'aborder un problème plus large : que voulons-nous faire de la santé ? Veut-on privilégier le scanner à tout bout de champ ou au contraire améliorer les droits du patient sous toutes leurs formes, ce qui nécessite des moyens adéquats ? Je crains que, s'il y avait une loi sur l'euthanasie, on n'occulte l'idée du droit du patient en amont. Si la loi Léonetti était bien appliquée, les choses se passeraient bien.

Pensez-vous qu'il y aurait un risque à autoriser une loi sur l'euthanasie dans un contexte économique morose pour l'hôpital ?

Ce serait une des dérives que l'on aurait du mal à juguler. L'afflux de malades, le manque de places, et des décisions de fin de vie accélérée. La procédure collégiale prévue par la loi Leonetti lorsque le malade est inconscient est un garde-fou que n'aurait peut-être pas une loi sur l'euthanasie. L'euthanasie préfigure des fins de vie accélérées.

Avez-vous le sentiment que les équipes se sont emparées de la notion du "double effet" (atténuer la douleur au risque d'abréger la vie) autorisée par la loi ?

Oui. L'ensemble des équipes est pour l'augmentation des médicaments, quitte à ce que cela abrège la vie. Tout est dans l'intention et la traçabilité. On peut augmenter progressivement la morphine avec une famille présente dans la chambre et on peut l'écrire dans le dossier médical. En revanche, on ne peut ni écrire que l'on va injecter une dose massive, un "bolus", ni le faire. Sous-entendre qu'administrer de la morphine en sédation terminale c'est la même chose que l'euthanasie, c'est faux.


Propos recueillis par Paul Benkimoun et Sandrine Blanchard

Article paru dans l'édition du 11.03.07

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